Monde du travail & Injonctions paradoxales. En rire ou en pleurer ?

Dans le monde du travail, certaines offres en disent long sans trop en dire. Quand une mission locale cherche un·e psychologue capable « d’accepter les paradoxes », c’est tout un système qui se dévoile : celui des injonctions impossibles, du soin sans soin, de l’éthique sans espace. Cet article explore, entre clinique du travail et réflexion personnelle, les conséquences des paradoxes et explique pourquoi, parfois, dire non, c’est se respecter.
Une offre d'emploi qui dit tout… sans le dire

Récemment, une offre d’emploi publiée par une mission locale m’a arrêtée net. Elle cherchait un·e psychologue. Jusque-là, rien d’inhabituel. Mais voici ce qu’on pouvait y lire :

"Accepter les paradoxes. Agir avec souplesse sans se rigidifier. Accepter les limites de la clinique et de la mission locale."

Le ton est posé. Ce n’est pas une maladresse : c’est un aveu.
On ne cherche pas un professionnel de la santé psychique.
On cherche quelqu’un capable de tenir debout dans l’inconfort, de rester éthique dans l’ambiguïté, de maintenir une posture clinique dans un cadre non clinique.
En somme : accueillir les contradictions … et faire avec.

Des exigences impossibles, au-delà du poste de psychologue

Cette situation n’est pas propre aux psychologues. De nombreux professionnels – dans l’éducation, le social, le soin, l’administration – font face à des attentes paradoxales :

  • Être présent sans ralentir.
  • Accompagner sans trop creuser.
  • Écouter sans soigner.
  • Soutenir sans prendre trop de place.

Et si le vrai paradoxe, c’était celui-là : Demander une posture exigeante dans un environnement qui la rend insoutenable.
Exiger du soin sans soin. Du sens sans moyens.

Une lecture par la clinique du travail (CNAM)

 Ce que révèle cette offre — et bien d'autres situations similaires — peut être éclairé par l'approche de la clinique du travail, développée au CNAM, notamment par Yves Clot.

Dans cette perspective, la souffrance au travail naît moins d'une surcharge ou d’un déficit individuel que de l'impossibilité d’agir selon ses propres normes de métier. C’est ce qu’on appelle la souffrance éthique ou la souffrance liée au travail empêché.

"Le travail bien fait est au cœur de la santé psychique." – Yves Clot

Le paradoxe, ici, est précisément celui d’un environnement qui réclame un engagement subjectif, une posture, une éthique — tout en empêchant les conditions concrètes de leur mise en œuvre.

Et comme le rappelle la clinique du travail : ce n’est pas en adaptant l’individu au dysfonctionnement qu’on soigne, mais en restaurant sa possibilité d’agir, de penser et de débattre du travail.

Une illustration concrète du « travail pressé »

Dans une tribune parue dans Le Monde (25-26 mai 2025), Dominique Lhuilier, professeure émérite en psychologie du travail au CNAM, met en lumière la dégradation de la santé mentale au travail et la relie directement aux transformations structurelles du travail :

"Cette dégradation doit être mise en perspective avec les transformations du travail et de l'emploi. Accroissement des exigences productives, organisation du travail en flux tendu, augmentation des cadences, densification et complexification : les ingrédients du 'travail pressé' fabriquent le sentiment, largement partagé, d'être 'débordé', 'épuisé', 'sous l'eau'. Ce travail en apnée use à la fois le corps et la psyché."

Cette citation éclaire d’un jour nouveau ce que révèle l’offre évoquée plus haut : une demande paradoxale adressée aux professionnels, à la fois engagés et contraints par des logiques organisationnelles intenables.

Les injonctions paradoxales, terrain de la souffrance éthique

Ce type de demande impossible a un nom : injonction paradoxale.
C’est un mécanisme bien connu en psychologie systémique :
recevoir deux messages contradictoires, avec l’obligation de répondre aux deux — et sans possibilité de les questionner ouvertement.

Résultat : épuisement, solitude, sentiment d’impuissance, conflit de loyauté et parfois… départ.
Pas forcément du poste. Parfois du métier. 

Une réalité qui dépasse les missions locales

Ce que cette offre révèle, ce n’est pas seulement l’état d’un poste dans une mission locale.
C’est une grille de lecture plus large du monde du travail actuel, dans le champ médico-social, mais aussi dans l’enseignement, la santé, le travail social, l’accompagnement et l’administration.

Et souvent, ce n’est pas eux qui dysfonctionnent. C’est l’environnement. 

Que faire face à ce système délétère ?

Il n’y a pas de solution simple, mais des choix professionnels et politiques à réaffirmer :

  1. Penser sa fonction
  2. Nommer ce qui nous abîme
  3. Refuser certains cadres 

En conclusion

Nous ne sommes pas seuls alors peut-être que ça commence là :

  • En disant non.
  • En écrivant ce type d’article.
  • En osant partir, si nécessaire.

Faire un pas de côté, changer de structure, se reconvertir, ce n’est pas fuir.
C’est parfois la condition pour rester aligné avec ses valeurs, retrouver du souffle et ne pas cautionner un système devenu incohérent ou délétère.

Il n’y a pas de solution unique mais il y a des lignes à tracer et parfois, dire non, c’est déjà commencer à se remettre debout.

Si vous vous retrouvez dans ces lignes et que vous souhaitez un accompagnement pour traverser une période de doute ou de remise en question professionnelle, je propose des séances individuelles dans une approche respectueuse de votre rythme et de vos valeurs. Demande de rendez-vous : contact@axis-and-search.com 

Source(s) :
Auteur(s) : Cécile Bueno-Klein, Consultante Psychologue Spécialisée Travail